INT. – SALLE À MANGER, JOUR.
Arthur et Perceval sont à table.
Perceval : Moi, le problème quand je raconte mes aventures c’est que j’essaie de les rendre un peu… (Il remue vaguement la main)
Arthur : Oui mais, enfin, avant de les rendre un peu… (Il fait le même geste) vous pourriez déjà essayer d’être compréhensible sur les faits.
Perceval : Bah ouais mais les faits…
Arthur : Oui, non mais je sais bien, je sais bien que vous cassez pas douze dragons par semaine, ça...
Perceval : J’ai peur que ce soit pas intéressant si j’invente pas par-d’ssus.
Arthur : Mais… Bon, par exemple là, pour cette fois, votre histoire de village abandonné. C’est pas mal ça, déjà, un village abandonné. Sans en rajouter, qu’est-ce qu’il s’est passé exactement ?
Perceval : Bah rien… Y’avait pas un rat dans l’bled.
Arthur hausse les sourcils.
***
OUVERTURE
***
INT. – SALLE À MANGER, JOUR.
Arthur et Perceval poursuivent le repas.
Arthur : Non mais y’avait pas un vieux dans votre truc ? Vous avez parlé d’un vieux.
Perceval : Mais non, y’avait personne.
Arthur : Le vieux aussi c’était du flan ?
Perceval : Mais c’est tout du flan !
Arthur (en rétrécissant les yeux) : Mais c’est vrai qu’y’a toujours un vieux dans vos histoires…
Perceval : Ouais ou une vieille, des fois.
Arthur : Et à chaque fois c’est pas vrai ?
Perceval : Si, une fois. Un couple de vieux moisis qui m’avait jeté des carottes.
Arthur (perplexe) : Ah bon ?
Perceval : Non mais je l’ai jamais raconté à la Table Ronde, ça.
Arthur : Bref. Non mais, c’est normal d’inventer. Bon, faut pas tout inventer non plus mais… y faut savoir faire résonner l’histoire. La légende. Vous savez ce que ça veut dire « légende » ?
Perceval : Je crois, oui. Mais je vais mettre deux heures à expliquer, ça va m’énerver.
Arthur : La légende c’est : qui mérite d’être lu. Quand on fait une histoire à un copiste pour qu’il en fasse trois exemplaires, que ça va lui prendre trois mois et que ça va coûter la peau des fesses, c’est pas pour raconter le temps qui fait ou ce que vous avez bouffer le midi, hein. Faut qu’ça pète !
Perceval : C’est pour ça, je mets des vieux.
Arthur : Déjà, une histoire, y faut bien la commencer. Bon euh… je vais pas vous citer Aristote –
Perceval : Qui ça ?
Arthur s'interrompt.
Arthur : Aristote… Non, non non, mais c’est bon, vous connaissez pas ; c’est pas grave.
Perceval : C’est pas celui qui a écrit La Poétique ?
Arthur (étonné) : Euuh… bah si. Si, si si, carrément.
Perceval : Non mais je savais ça.
Arthur : Mais vous l’avez lu La Poétique ?
Perceval : Non, j’sais pas lire.
Arthur (interloqué) : Mais vous savez quand même que c’est Aristote qui a écrit La… (Il se reprend) Non mais c’est bon, ça va. On s’en fout. Donc… Aristote dit qu’un tout est ce qui est ce qui est constitué d’un début, d’un milieu… et d’une fin. C’est pour ça qu’y’a l’histoire des trois actes.
Perceval : Les trois actes c’est les bonnes femmes qui sont mi-taupes, mi-déesses et qui ont forcés les mecs de Bethléem à construire les pyramides.
Arthur se fige pendant un moment.
Arthur : …donc, y faut avoir un bon début. Ce matin en réunion, première erreur : dès le début, on pigeait rien.
***
INT. – TABLE RONDE, PLUS TÔT.
Perceval fait son compte-rendu.
Perceval : J’arrive au village. Enfin, j’étais pas tout à fait arrivé. Parce que le village, il est en deux parties, en fait. Mais la première, c’est pas encore vraiment le village. Et du coup y’avait personne. Ni au début… parce que même dans la partie du village où c’est pas le village y’avait personne. Ça, ça change rien.
Galessin et Léodagan échangent un regard abasourdi.
***
INT. – SALLE À MANGER, PLUS TARD.
Arthur : On bite rien et en plus on s’en fout ! Vous vous lancez trop dans les explications.
Perceval : Mais qu’est-ce qu’il faut que je dise alors ?
Arthur : « J’arrive dans un village désert » !
Perceval : Mais du coup on comprend pas qu’y’a deux parties au village !
Arthur : Mais qu’est-ce qu’on en a à s’couer qu’y’a deux parties au village ? Vous comptez me faire visiter ?
Perceval : Ah non, je compte même pas y retourner.
Arthur : Voilà. « J’arrive dans un village désert ». Et après ?
Perceval : Après en vrai ou avec mon vieux ?
Arthur : Non non non non, après en vrai. On verra après avec le vieux.
Perceval : Ben en vrai euh… j’ai attendu dix minutes et puis je me suis barré.
Arthur : Attendez, vous n’allez quand même pas me dire que vous n’avez rien du tout du tout ?!
Perceval : Je me retrouve au milieu d’un patelin, y’a pas un chat, pas un âne, pas une brouette : rien ! (Arthur ferme les yeux, découragé) Qu’est-ce que je raconte derrière comme légende qui mérite d’être lu ?
Arthur : Non mais moi je me retrouve pas dans les patelins déserts si j’ai pas un indice de quelque chose ! Je pars pas au flan sans savoir ce que je cherche !
Perceval : Ben moi c’était à l’instinct, euh, comme ça.
Arthur (sarcastique) : Ah bah super. Bravo, magnifique. Parce que pour faire une légende avec ça, hein…
Perceval : C’est pour ça, je mets des vieux.
Arthur : Non mais c’est pas tout de mettre des vieux, enfin ! Y faut savoir quoi en faire.
Perceval : Bah c’était pas mal comment je l’ai fait arriver.
Arthur (incrédule) : Pas mal ?!
Arthur dévisage Perceval avec des yeux ronds.
***
GÉNÉRIQUE
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INT. – TABLE RONDE, PLUS TÔT.
Perceval : Mais non il m’a rien dit !
Père Blaise : Rien du tout ?
Perceval : Bah j’sais pas, « holà chevalier ! ». Qu’est-ce que vous voulez qu’y m’dise ?
Gauvain fronce les sourcils.
Galessin : Nous, rien. On comprend déjà pas d’où il est sorti, ce vieux…
Perceval : Ben il est sorti de chez lui, d’où voulez-vous qu’il sorte ?
Hervé de Rinel : Mais je croyais que toutes les maisons étaient abandonnées ?
Perceval est pris de court.
NOIR
Perceval (off) : Ouais, ben vous de toute façon vos aventures c’est d’la merde, alors…
FIN
Rédigé par Merlinelo pour Kaamelott Hypnoseries